Des fraudeurs font légaliser leur situation !
En consultant les registres de Gotein-Libarrenx (64), dans le registre des naissances de 1811, je suis tombée sur quatre actes très étranges, bien plus longs que la normale, et qui ne ressemblaient pas à des actes de naissances.
Ces quatre actes se ressemblaient, et voici la transcription de l'un d'eux (orthographe de l'époque) :
Napoléon Empereur des Français, Roi d'Italie et protecteur de la Confédération
du Rhin , à tous présents et àvenir salut = faisons savoir que le tribunal de
1re instance de St Palais - troisième arrondissement du département des Basses Pyrénées
a rendu le jugement suivant, au pied de la requette cy après = à Messieurs les
juges du tribunal de première instance séant à St Palais = Expose Raymond Tartachu
du lieu de Gotein, que son acte de naissance ne s'étant pas trouvé dans les registres
à ce destinés de sa commune un jugement par nous rendu le vingt trois du courant
enregistré l'a admis à prouver par témoins qu'il est issu du mariage de Jean
Tartachu et Engrâce Iriart conjoints dudit lieu et qu'il naquit le mois de
décembre mil sept cent quatre-vingt quatre. Il résulte de l'enquette faite devant
Mr Vevée président et commissaire le vingt cinq enregistrée composée de sept témoins
la preuve complète du fait articulé il ne reste maintenant qu'à homologuer et fixer
l'âge de l'exp(osan)t = A cette cause, vu les pièces, il vous plaira, messieurs, homologuer
l'enquette du vingt cinq du courant, en conséquence dire que led(it) Raymond Tartachu
est issu du mariage de Jean Tartachu et Engrâce Iriart conjoints de Gotein et qu'il
naquit dans cette commune le mois de décembre mil sept cent quatre vingt quatre
au surplus ordonnons que le jugement qui interviendra sera transcrit sur les registres
de l'état civil de lad(i)te commune pour lui servir de son acte de naissance et faire
justice nomant Bastereix pour avoué. Signé Bastereix = Vu la présente requette
et l'enquette y arrêtée = Le tribunal ordonne qu'elle soit communiquée au
ministère publiq et commet Mr Berdece juge pour en faire rapport à l'audience
de ce jour = à St Palais le vingt six janvier mil huit cent onze Signé Vévée
Président et Marmissolle G(reffi)er= Vu la présente requette et l'enquette y jointe
je n'empêche adjuger au pétitionnaire les conclusions de sa requette sans
préjudice néanmoins des recherches légalles s'il y a lieu par rapport aux sus la
conscription militaire = au parquet le vingt six janvier 1811 pour Mr le
procureur impérial absant pour raison de sa fonction. Signé Vt Lombart
juge supp(léan)t = Vu de nouveau la présente requette celle présentée précédemment
l'enquette faitte par Mr président comissaire le soit montré au procureur
impérial et la conclusion de celui cy écrite ci dessus = oui le rapport fait
en audience publique par Mr Berdece juge rapporteur et pris lecture de toute
les pièces = attandu que l'époque de la naissance du pétitionnaire est
plainement prouvée par la déposition des témoins entendus
dans l'enquette, et que cette preuve à été faitte en conformité
de l'art. 46 du code Napoléon = le tribunal homologuant l'enquête
dont il s'agit, fixe l'époque de la naissance de Raymond Tartachu
de Gotein au mois de décembre mil sept cent quatre vingt quatre, qu'il
est issu du légitime mariage de Jean Tartachu et Engrâce Iriart
conjoints du même lieu de Gotein, ce faisant ordonne que le présent
jugement tiendra lieu de son acte de naissance, qu'à cet effet il sera
transcrit sur les registres courants des naissances de lad commune de Gotein et
que mention de cette transcription sera faitte en marge de ceux de l'année mil
sept cent quatre vingt quatre, sans préjudice néanmoins de recherches légales, s'il y a lieu
par rapport aux lois sur la conscription militaire = jugé et prononcé
en audience publique le vingt six janvier dix huit cent onze séant
MM Vévée président Berdece juge et Marteche juge supp(léan)t en présence
de V Lombart juge supléant exerçant la fonction de procureur
impérial signé Vévée président Marmissolle G(reffi)er= Enregistré à St Palais
Suivent des considérations financières pour l'enregistrement de l'acte.
Les 4 actes en question sont tous datés du 26 janvier 1811, et rétablissent les actes de naissance :
Il est intéressant de remarquer que ces quatre jugements concernent des hommes qui viennent d'avoir 26 ans. En effet, nous sommes en 1811, sous le Premier Empire, et les campagnes napoléoniennes battent leur plein. Le système de la conscription pèse sur le pays, et particulièrement sur les hommes de 20 à 25 ans qui peuvent être appelés sous les drapeaux pour une durée indéterminée, avec tous les risques que cela comporte : blessures, mort, famine, maladies, ...
Les historiens qui se sont penchés sur cette question ont pu remarquer que le refus de la conscription était très fort dans le département des Basses-Pyrénées - actuelle Pyrénées-Atlantiques.
Le fait que les 4 hommes ici présentés fassent rétablir leur acte de naissance après avoir atteint leurs 26 ans me fait imaginer que tous les quatre s'étaient cachés pendant cinq ans pour échapper à la conscription, peut-être en passant temporairement en Espagne. Une fois passée la période pendant laquelle ils étaient mobilisables, les voici qui rentrent en France et font régulariser leur état-civil, pour pouvoir ensuite prouver qu'ils sont trop âgés pour le service militaire.
En poursuivant ce raisonnement, on peut même penser que la destruction des registres paroissiaux de Gotein, pour lesquelles les années 1779 à 1788 sont manquantes, est de leur fait, mais c'est ici une hypothèse pour laquelle je n'ai aucune preuve.
Quelques sources :
Ces quatre actes se ressemblaient, et voici la transcription de l'un d'eux (orthographe de l'époque) :
Napoléon Empereur des Français, Roi d'Italie et protecteur de la Confédération
du Rhin , à tous présents et àvenir salut = faisons savoir que le tribunal de
1re instance de St Palais - troisième arrondissement du département des Basses Pyrénées
a rendu le jugement suivant, au pied de la requette cy après = à Messieurs les
juges du tribunal de première instance séant à St Palais = Expose Raymond Tartachu
du lieu de Gotein, que son acte de naissance ne s'étant pas trouvé dans les registres
à ce destinés de sa commune un jugement par nous rendu le vingt trois du courant
enregistré l'a admis à prouver par témoins qu'il est issu du mariage de Jean
Tartachu et Engrâce Iriart conjoints dudit lieu et qu'il naquit le mois de
décembre mil sept cent quatre-vingt quatre. Il résulte de l'enquette faite devant
Mr Vevée président et commissaire le vingt cinq enregistrée composée de sept témoins
la preuve complète du fait articulé il ne reste maintenant qu'à homologuer et fixer
l'âge de l'exp(osan)t = A cette cause, vu les pièces, il vous plaira, messieurs, homologuer
l'enquette du vingt cinq du courant, en conséquence dire que led(it) Raymond Tartachu
est issu du mariage de Jean Tartachu et Engrâce Iriart conjoints de Gotein et qu'il
naquit dans cette commune le mois de décembre mil sept cent quatre vingt quatre
au surplus ordonnons que le jugement qui interviendra sera transcrit sur les registres
de l'état civil de lad(i)te commune pour lui servir de son acte de naissance et faire
justice nomant Bastereix pour avoué. Signé Bastereix = Vu la présente requette
et l'enquette y arrêtée = Le tribunal ordonne qu'elle soit communiquée au
ministère publiq et commet Mr Berdece juge pour en faire rapport à l'audience
de ce jour = à St Palais le vingt six janvier mil huit cent onze Signé Vévée
Président et Marmissolle G(reffi)er= Vu la présente requette et l'enquette y jointe
je n'empêche adjuger au pétitionnaire les conclusions de sa requette sans
préjudice néanmoins des recherches légalles s'il y a lieu par rapport aux sus la
conscription militaire = au parquet le vingt six janvier 1811 pour Mr le
procureur impérial absant pour raison de sa fonction. Signé Vt Lombart
juge supp(léan)t = Vu de nouveau la présente requette celle présentée précédemment
l'enquette faitte par Mr président comissaire le soit montré au procureur
impérial et la conclusion de celui cy écrite ci dessus = oui le rapport fait
en audience publique par Mr Berdece juge rapporteur et pris lecture de toute
les pièces = attandu que l'époque de la naissance du pétitionnaire est
plainement prouvée par la déposition des témoins entendus
dans l'enquette, et que cette preuve à été faitte en conformité
de l'art. 46 du code Napoléon = le tribunal homologuant l'enquête
dont il s'agit, fixe l'époque de la naissance de Raymond Tartachu
de Gotein au mois de décembre mil sept cent quatre vingt quatre, qu'il
est issu du légitime mariage de Jean Tartachu et Engrâce Iriart
conjoints du même lieu de Gotein, ce faisant ordonne que le présent
jugement tiendra lieu de son acte de naissance, qu'à cet effet il sera
transcrit sur les registres courants des naissances de lad commune de Gotein et
que mention de cette transcription sera faitte en marge de ceux de l'année mil
sept cent quatre vingt quatre, sans préjudice néanmoins de recherches légales, s'il y a lieu
par rapport aux lois sur la conscription militaire = jugé et prononcé
en audience publique le vingt six janvier dix huit cent onze séant
MM Vévée président Berdece juge et Marteche juge supp(léan)t en présence
de V Lombart juge supléant exerçant la fonction de procureur
impérial signé Vévée président Marmissolle G(reffi)er= Enregistré à St Palais
Suivent des considérations financières pour l'enregistrement de l'acte.
Les 4 actes en question sont tous datés du 26 janvier 1811, et rétablissent les actes de naissance :
- d'Arnaud Inchauspé, né en octobre 1784 à Gotein, fils d'Arnaud Inchauspé et de Catherine Sorronde,
- de Raymond Tartachu, né en décembre 1784 à Gotein, fils de Jean Tartachu et Engrâce Iriart,
- de Gratian Etchegoyen-Etcheberry, né en octobre 1784 à Gotein, fils de Pierre Etcheberry et de Marie Etchegoyen,
- et de Jean Uthurratz, né en août 1784 à Gotein, fils d'Arnaud Uthurratz et d'Anne Cahouri.
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| Le départ du conscrit - Gallica |
Il est intéressant de remarquer que ces quatre jugements concernent des hommes qui viennent d'avoir 26 ans. En effet, nous sommes en 1811, sous le Premier Empire, et les campagnes napoléoniennes battent leur plein. Le système de la conscription pèse sur le pays, et particulièrement sur les hommes de 20 à 25 ans qui peuvent être appelés sous les drapeaux pour une durée indéterminée, avec tous les risques que cela comporte : blessures, mort, famine, maladies, ...
Les historiens qui se sont penchés sur cette question ont pu remarquer que le refus de la conscription était très fort dans le département des Basses-Pyrénées - actuelle Pyrénées-Atlantiques.
Le fait que les 4 hommes ici présentés fassent rétablir leur acte de naissance après avoir atteint leurs 26 ans me fait imaginer que tous les quatre s'étaient cachés pendant cinq ans pour échapper à la conscription, peut-être en passant temporairement en Espagne. Une fois passée la période pendant laquelle ils étaient mobilisables, les voici qui rentrent en France et font régulariser leur état-civil, pour pouvoir ensuite prouver qu'ils sont trop âgés pour le service militaire.
En poursuivant ce raisonnement, on peut même penser que la destruction des registres paroissiaux de Gotein, pour lesquelles les années 1779 à 1788 sont manquantes, est de leur fait, mais c'est ici une hypothèse pour laquelle je n'ai aucune preuve.
Quelques sources :
- les archives de la commune de Gotein - aujourd'hui Gotein-Libarrenx, et particulièrement le registre des naissances de l'an 1811
Alain Pigeard, La conscription sous le Premier Empire, article paru dans le numéro 420 de la Revue du Souvenir Napoléonien, octobre-novembre 1998
Annie Crépin, Histoire de la Conscription, Paris, Gallimard, 2009
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